
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Henry Colomer
ISBN 9782960155914
128 pages. 20 €. 2015
“Passionnant, jamais docte, souvent drôle”
“Une entreprise assez dingue et tout à fait réjouissante”
“Passionnant”
“Passionnant, drôle, étourdissant, terriblement instructif”
Que faire de ce corps qui tombe
John d'Agata / Jim Fingal
Le 13 juillet 2002, à 18 h 01 min 43 s, tout en haut de la tour du Stratosphere Hotel de Las Vegas, Levi Presley enjambait la rambarde qui le séparait du vide. 350 mètres plus bas, soit 9 secondes plus tard, il trouvait la mort sur l’asphalte de la rue ramolli par la chaleur d’un été torride. Il pratiquait le taekwondo. Il avait 16 ans.
En 2005, l’écrivain John D’Agata envoie à la célèbre revue The Believer un essai dans lequel, à sa façon bien particulière, il s’empare de ce fait divers tragique. L’éditeur de la revue confie alors au stagiaire Jim Fingal, un fact-checker débutant, le soin de recouper les éléments factuels qui émaillent le texte de l’écrivain. Ce sont cet essai (au centre de la page) et les échanges entre auteur, fact-checker et éditeur (tout autour de l’essai) qui sont donnés à lire dans Que faire de ce corps qui tombe. Qu’est-ce qu’un fait ? La chute de Levi Presley a-t-elle duré 8 ou 9 secondes? Le revêtement du sol sur lequel le corps du jeune homme fut retrouvé était-il de couleur rouge ou brune? Le mot “suicide” existe-t-il en hébreu?
Autant de questions qui en appellent d’autres, plus fondamentales: peut-on faire montre d’imagination dans le cadre de la non-fiction? N’est-ce pas attenter au respect ancestral dû à un mort que d’inventer délibérément les circonstances de sa disparition? Qu’est-ce que le vrai? Dans ces échanges tour à tour drôles, émouvants, doctes, naviguant entre débat et combat, virant parfois à l’injure, et, jusqu’à sa vertigineuse et bouleversante chute, Que faire de ce corps qui tombe interroge, avec subtilité, notre délicat rapport au réel.
De la part de l’éditeur : J’ai une mission amusante pour un volontaire. Nous avons reçu un nouveau texte de John D’Agata qui a besoin d’un sérieux fact-checking. Apparemment il a pris quelques libertés, personne ne les lui conteste mais je voudrais savoir jusqu’où elles vont. Donc, si quelqu’un veut s’en charger, il devra passer ça au peigne fin et repérer tout ce qui, en gros et en détail, peut être confirmé et tout ce qui peut être mis en question. Je vous offrirai autant de crayons rouges que nécessaire. Merci!
On a un problème global avec les statistiques dans cette partie. Presque toujours, quand John y a recours, elles sont censées concerner la ville de Las Vegas. Mais dans les sources qu’il nous a transmises, les statistiques se réfèrent souvent à des ensembles de populations différents, en allant de la ville de Las Vegas proprement dite au comté de Clark et parfois même à l’État du Nevada tout entier. Comme me l’a expliqué un employé du gouvernement, le problème avec cet amalgame, c’est que le comté de Clark a une population trois fois plus importante que celle de la ville de Las Vegas. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une divergence insignifiante. Il faudrait donc spécifier si certaines informations se réfèrent au Nevada ou au comté de Clark plutôt qu’à Las Vegas uniquement. John, vous voulez bien préparer des éclaircissements que l’on rajoutera à l’essai?
John: Non. Avec tout le respect que je vous dois, vous avez vraiment tout faux là-dessus, Jim. Le comté de Clark, c’est Las Vegas. Bien sûr, le comté est composé de beaucoup d’autres entités que Las Vegas mais quand on parle aujourd’hui de « Las Vegas », on se réfère en général au comté de Clark. Comme vous l’avez vous-même remarqué, Las Vegas à proprement parler est une ville relativement petite et, géographiquement, elle se limitait à l’origine au «centre-ville» –la partie ancienne et plutôt miteuse de la ville que peu de touristes visitent en réalité. En fait, l’essentiel du Las Vegas Strip (la partie de la ville à laquelle on pense quand on entend le nom «Las Vegas») n’est pas dans Las Vegas mais dans le comté de Clark. Par exemple, quand le Flamingo Hotel (le premier hôtel sur le Strip actuel) a ouvert en 1946, il se trouvait dans une ville au sud de Las Vegas appelée Paradise, Nevada, qui fait partie du comté de Clark. L’hôtel a été construit là parce que Bugsy Siegel voulait s’installer à l’extérieur de la juridiction de Las Vegas. Pourtant, je doute qu’on considère aujourd’hui que le Flamingo, ou n’importe lequel des nombreux hôtels qui l’entourent sur le Strip, se trouve ailleurs que «dans Las Vegas». Il n’y a donc pas de divergence. D’après moi, c’est le genre de simplification indispensable si on veut épargner aux lecteurs le ridicule de ce genre d’explications interminables et lourdingues.»

John D’Agata est écrivain. Il enseigne la création littéraire à l’université de l’Iowa. Il est notamment l’auteur de Yucca Mountain (Zones sensibles, 2012).
Jim Fingal se définit comme hacker et fut pendant un temps fact-checker au magazine littéraire The Believer.